Les enfants d’Izieu. « Au revoir les enfants ».

Série

Les enfants d'Izieu. "AU REVOIR LES ENFANTS".

À PROPOS

I. L’histoire de la colonie d’Izieu.

Ils s’appelaient Sami, Max, Martha, Sigmund, Coco, Esther… Ils avaient entre 4 ans et 17 ans.
Le 6 avril 1944 à Izieu, 44 enfants et 7 adultes sont arrêtés et déportés.
Leur unique crime: être Juifs.
Mai 1943: à la demande du préfet de l’Hérault, investi dans le sauvetage des enfants juifs, Sabine et Miron Zlatin, en lien avec l’Oeuvre de secours aux enfants (O.S.E) et avec l’aide du sous-préfet de Belley Pierre-Marcel Wiltzer, installent une quinzaine d’enfants à Izieu (Ain) alors en zone d’occupation Italienne, pour les mettre à l’abri des poursuites antisémites.
Les familles de ces enfants sont d’origines diverses: Allemande, Polonaise, Autrichienne, Belge ou encore Française. Lors de l’été 1942, certaines sont internées dans les camps du sud de la France ( Rivesaltes, Agde). Grâce au travail de l’O.S.E et d’autres oeuvres, des enfants sont libérés et placés dans différentes maisons afin d’être mis en sécurité.
« Ici vous serez tranquilles ». C’est par ces mots que le sous-préfet Belley approuve le choix de Sabine Zlatin au printemps 1943 d’ouvrir une maison d’enfants à Izieu, village du Buggy dans l’Ain. La colonie n’est ni cachée ni clandestine.
Le quotidien s’organise au sein de la colonie, qui offre une parenthèse dans la vie meurtrie des enfants: des éducateurs et une institutrice les encadrent.Des liens se tissent avec les habitants et les institutions locales. Izieu devient un havre de paix loin des conflits, des persécutions et va offrir un semblant de bonheur à ces enfants. Entre l’été 1943 et avril 1944, ils seront prés de 106 à séjourner à la colonie.
En septembre 1943, suite à la capitulation de l’Italie, l’armée Allemande occupe la zone et intensifie les persécutions antisémites. La menace sur la colonie est de plus en plus grande et sa dispersion devient une évidence. Fin mars début avril, Sabine Zlatin repart à Montpellier pour trouver un refuge plus sûr aux enfants. Elle apprendra la nouvelle de la rafle par un télégramme.
Le jeudi 6 avril 1944, premier jour des vacances de pâques, alors que les enfants se préparent à prendre leur petit déjeuner, un détachement de la Wehrmacht et la Gestapo de Lyon font irruption sur ordre de Klaus Barbie et arrêtent brutalement les enfants et les adultes présents.
42 enfants seront assassinés à Auschwitz-Birkenau; 2 adolescents fusillés en Estonie à Tallin. Parmi les adultes, seule Léa Feldblum reviendra. Elle témoignera en 1987 au procès de Klaus Barbie.

II. Le projet artistique.

1) Note d’intention:
Je suis petit fils de déporté, j’ai grandi avec l’histoire de mon grand-père. A 11 ans, je l’accompagnais à Mauthausen là où fut libéré. Je lui dois cette éducation du devoir de mémoire, lui qui avait tant peur que l’on oublie. A sa mort, je suis tombé sur quelques uns de ses écrits où il évoquait ses années de captivité. Il m’a alors semblé évident que je devais faire un travail sur ce devoir de mémoire.
Jusqu’à présent je travaillais sur la mémoire: individuelle( La robe couleur du temps) ou collective. «Entre ciel et mer » évoquait la vie des colons avant la perte de l’Algérie; « A woman’s tales », l’assassinat de JFK. Dans un registre plus léger « Memories » et « Postcards from heaven » étaient des hommages au cinéma noir et blanc.
Le projet des enfants d’Izieu s’est imposé à moi, il est devenu une nécessité . Dans mon enfance ce nom était souvent évoqué. Izieu fait partie de la mémoire de l’humanité et nous interroge sur l’Histoire. Le destin brisé de ces 44 enfants doit nous servir de garde fou pour le futur. Ces visages me hantent, je dois tenter avec mon approche artistique de raconter des bribes de leurs courtes vies.
« Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer, ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent de notre fidélité. »
Vladimir Jankélévitch. En tant qu’artiste, je veux et je me dois de participer à ce devoir de mémoire.
Dans mon travail d’artiste, je me suis toujours appuyé sur le support photographique. Souvent des photos trouvées qui témoignent de leur temps et qui ont valeur de documentation sociale. Elles ne présentent aucune notion artistique consciente, ne tiennent pas compte de la composition ou de l’esthétique. Elles ne sont que l’enregistrement d’un moment éphémère.
En commençant mes recherches sur les enfants d’Izieu, j’ai découvert ces photographies de la colonie prises entre 1943 et 1944. Elles racontent le quotidien de ces enfants, leurs petites histoires, leurs espérances…Elles parlent d’enfance, d’amitié et d’amour. Ces visages sourient et croient en des jours meilleurs. C’est ce à quoi mon travail devra s’attacher.A cette parenthèse de bonheur que fut Izieu pour ces enfants. Je ne suis pas historien, juste un artiste qui tente de s’approcher et de révéler notre part d’intime. Ces visages me sont devenus extrêmement familiers et je ne pourrais plus les oublier.
Ce travail artistique sera composé: d’une installation (les valises), d’une série de toiles d’après les photographies, et de vidéos (traces sur l’évolution et la réalisation du projet).

2) La réalisation.
Une oeuvre est une fiction.Mon approche des « enfants d’Izieu » doit être empreinte de pudeur et forcément d’émotion. L’intention artistique est primordiale,son caractère subjectif devra éveiller une sensibilité spirituelle. «L’art n’imite pas le visible, il le rend visible. »
Mon projet est un récit qui va rappeler et rappeler encore que ces enfants ont existé.
Heidegger à écrit: « Dans l’oeuvre c’est la vérité qui est à l’oeuvre, et non pas quelque chose de vrai. »
Ma proposition sur le devoir de mémoire se veut une oeuvre « collective » pour laquelle je vais faire appel à 44 parents( toutes origines, confessions, nationalités ou types de familles). Chacun se verra confier la mémoire (qui s’inscrit toujours dans le présent) d’un des enfants d’Izieu, afin qu’il devienne un « relai de mémoire ». Il devra alors entamer une recherche à partir du nom de l’enfant en utilisant tous les moyens à sa disposition (internet, documents, lectures…). Ces informations, cette quête, seront consignés dans un cahier scolaire (les cahiers étaient rares et donc précieux à la colonie). Je pourrais lui communiquer certains documents ou anecdotes (par exemple: Albert Bulka dit Coco, qui appelait le voisin Eusèbe « papa ») que j’aurais pu trouver lors de mes diverses lectures (dessins, lettres…) Cette phase est primordiale pour établir ce rapport intime entre le relai de mémoire et l’enfant.
Je communiquerai ensuite au relai, le document photographique de l’enfant sur lequel je travaillerai. A lui de choisir, et de me fournir les éléments nécessaires à la réalisation des toiles: des vêtements qu’il aura recherché, chiné, et correspondant scrupuleusement à ceux portés par l’enfant le jour où le cliché a été pris (matière,motif…) Il ne devra choisir que des étoffes qui existaient dans les années quarante et donc bannir tout ce qui est neuf.
Le relai de mémoire devra alors trouver une valise ancienne d’enfant, la remplir avec le cahier, les vêtements, les étoffes, matières, chaussures, ou tout autres accessoires ou objets qui seront ensuite utilisés pour la réalisation des toiles.

a) L’installation: les valises (relais de mémoire ).
J’ai voulu que ces 44 relais soient des parents pour qui préparer une valise pour son enfant n’est pas un acte anodin (symbolique, bienveillant, chargé d’affectif…).
Je parle d’oeuvre collective, car pour réaliser ce travail, je vais puiser dans l’expérience émotionnelle qu’auront vécu mes 44 relais.Les valises devraient provenir de différents endroits du monde.
Pour la réalisation des toiles, je vais puiser dans la valise de chaque enfant les éléments dont je vais avoir besoin. Je réaliserai des patrons, couperai dans les étoffes, coudrai, habillerai (dans ma démarche, c’est ma façon d’aborder l’intime). Une fois ce travail fait, je vais remettre dans la valise les éléments non utilisés, les chutes, les patrons, fils, aiguilles, le cahier, mes notes ou croquis, la lettre, tout ce qui aura été nécessaire à la réalisation picturale, à l’évocation de la mémoire.
Ces 44 valises constitueront l’installation.

b) La série de toiles.
Pour cette série, je vais utiliser en grande partie les photographies prises durant le séjour des enfants à Izieu. Quelques enfants n’apparaissent pas sur les clichés, je réaliserai alors des portraits d’eux d’après des documents d’archives (pour la petite Lucienne Frielder il n’y a malheureusement aucune photo). Je veux privilégier l’enfant en tant qu’individu et non donner un sentiment d’entité au groupe. Par exemple: si Albert Bulka (dit Coco) apparait sur plusieurs photos, je ne vais le « traiter en volume », « l’habiller » qu’une seule fois( l’apparence devant manifester l’être). Sur les autres toiles, il ne sera traité que par le biais de la peinture.
Ces toiles vont incarner ces enfants, dans le sens « redonner chair ».
Confronté à la série complète, le visiteur identifiera immédiatement 44 enfants différents au milieu d’un groupe qui pourra être composé d’une centaine. Sous chacun d’eux, sera présentée la valise correspondante.
Les toiles devraient toutes avoir une hauteur de 100 cm et une longueur variable afin d’obtenir une unité. A ce jour, je ne peux dire précisément combien de toiles vont constituer la série complète, mais je pense que ce travail va nécessiter au minimum deux années.
Pour la première toile, j’ai choisi la photographie la plus emblématique, celle prise devant la fontaine (photo de couverture). Elle sera tirée via la digigraphie, en grand format, recolorisée et peinte. Seuls Jacques, Paula, Max et Georgy apparaitront en volume, vêtus par leurs « parrains » de mémoire et moi même. Paula chaussera ses sandales,Max pourra brandir fièrement son chapeau au bout de son bâton .

c) Le travail vidéo.
Durant ces deux ans, je vais être assisté de la vidéaste Nathalie Sapin qui suivra l’évolution du travail. L’idée étant de pouvoir proposer au final sur une table tactile tout le travail réalisé et ce par enfant.